BRUCE DICKINSON : « The Mandrake Project » (c) 2024

BRUCE DICKINSON : « The Mandrake Project » (c) 2024

The Mandrake Project
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Publié: 01/03/2024

Bruce Dickinson est un artiste fantastique et un sacré personnage. Il est très difficile de ne pas avoir de l’admiration devant tout ce qu’il a apporté à notre musique préférée, aussi bien en tant que chanteur/compositeur/interprète que comme exemple de persévérance, d’intégrité avec toujours un comportement exemplaire. Une des premières choses m’ayant fait adorer Iron Maiden et le chanteur anglais était le côté très intéressant de ses paroles, l’attitude des musiciens à cent lieues des clichés de l’époque sex drug & rock’n’roll. Cela ne voulait pas dire que les Maiden étaient des anges, mais au moins ils gardaient leurs frasques pour eux et n’en faisaient pas un fond de commerce.

Mr Dickinson a toujours tiré Maiden vers le haut, débordant d’envies, d’idées .. quitte à se faire mettre sur la paille (l’époque “Somewhere In Time” lorsque Bruce était arrivé avec que des titres acoustiques voulant que Maiden fasse leur “Led Zeppelin III”) mais avait réussi à planter des graines qui avaient germé dès “7th Son Of A 7th Son”. On lui doit aussi d’avoir imposé à Harris d’arrêter la production d’albums seul et l’arrivée de Kevin Shirley sur le fantastique “Brave New World”. En solo, Bruce n’a jamais hésité à expérimenter, comme sur “Tattooed Millionnaire” et son côté hard rock loin du heavy metal de Maiden, “Balls To Picasso” et son heavy sombre, du rock alternatif grungy “Skunworks” ou dans un concept album sublime, “The Chemical Wedding”. L’artiste anglais avait trouvé la perle rare, Roy Z, guitariste/compositeur/producteur qui avait délaissé son très bon groupe Tribe Of Gypsies pour remettre en selle un Bruce un peu en perdition en 1996, avec un retour en forme avec le brillant “Accident Of Birth”, revenant à un heavy dans l’esprit de Maiden mais avec une approche plus personnelle et plus moderne. La trilogie composée par la paire Dickinson / Z, “Accident Of Birth” / “The Chemical Wedding” / “Tyranny Of Souls” montrait au monde entier le talent de ce duo fonctionnant à merveille.

L’eau a coulé sous les ponts depuis le dernier méfait discographique de Mr Dickinson, il y a 19 ans. Depuis, Bruce a sorti avec Maiden 4 albums studio, fait une dizaine de tournées mondiales, a piloté un 737 puis un 747, a écrit sa biographie, a donné des conférences, s’est remis d’un cancer de la langue, s’est remarié, est devenu chef d’entreprise aéronautique, s’est occupé du lancement de la Trooper Beer. Il n’en existe pas 2 comme lui !

Cette intro est un peu longue, mais je me devais de rendre hommage à ce grand Monsieur sans qui ma vie aurait pris une autre tournure.

Dire qu’on attendait avec une grande impatience ce 7ème album de Paul Dickinson est un doux euphémisme, d’autant plus qu’il nous en parle depuis 2015 lorsqu’il nous apprenait travailler sur son nouvel (sic) album solo et qu’un de ses titres de travail, “If Eternity Should Fail” avait été retenu par Steve Harris pour figurer sur le “The Book Of Souls” de Maiden. 9 ans plus tard (re-sic) l’arlésienne fait enfin son apparition et se nomme “The Mandrake Project”. Derrière ce …. projet se cache une histoire alambiquée comme les aime le chanteur, celle du Docteur Necropolis et du Professeur Lazarus ayant découvert le moyen de garder et préserver l’âme humaine, et qui vont être amenés à se combattre car n’ayant pas la vision sur comment utiliser cette invention. De cette histoire a été déclinée une bande dessinée en 12 épisodes. Par contre, contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas véritablement d’un concept album, car toutes les chansons n’ont pas un rapport avec cette histoire.

Un mot sur le packaging superbe dans les différentes versions déclinées, chacune ayant quelque chose de particulier : version vinyle noir, vinyle d’un magnifique bleu accompagné d’un très chouette stencil, version cd digipack 3 panels, version cd pochette lenticulaire, version cd deluxe avec une bd. Mais le plus important est la musique bien évidemment, et le chanteur a fait très très fort, ne s’imposant aucune limite artistique et laissant libre court à son inspiration débordante complétée par celle d’un Roy Z au meilleur de sa forme. Autant l’annoncer dès maintenant, ne vous attendez pas à une suite musicale de “The Chemical Wedding” car ce nouvel opus n’est pas aussi « formaté » heavy metal comme pouvaient l’être ses 3 précédentes oeuvres et autant vous dire que vous allez être très surpris à l’écoute de bon nombre de morceaux. 

Les morceaux reliés à la BD et à l’histoire de ces 2 scientifiques barrés sont “Afterglow of Ragnarok”, “Rain On The Graves”, “Ressurection Men”, “Eternity Has Failed”.

Le 1er titre de l’album et 1er single sorti il y a quelques mois, “Afterglow of Ragnarok” montrait la facette heavy qu’on connaît de Bruce et Roy Z, commençant avec une intro inquiétante avant que ne soit craché des enceintes un riff tranchant et nerveux rappelant le Chris Oliva (SAVATAGE) de l’époque “Halls Of The Mountain King”. Les couplets mettent en valeur ce riff épique tandis que le refrain se veut un peu plus posé avec une belle mélodie. Durant tout le titre, Dickinson nous présente toute l’étendue de sa voix fantastique, tantôt inquiétante et en retenue, tantôt “Air Siren” stratosphérique comme pour mieux imager l’appel désespéré du Docteur Necropolis plongé dans un rêve de fin du monde (le Ragnarok) dont il n’arrive pas à s’échapper mais espère une renaissance, cela semblant faire écho à sa création de sauvegarde des âmes devenues éternelles et allant d’un corps à l’autre. On remarque un son et une production moins rêche et brute que sur ses opus précédents, un son plus aéré avec en fond en clavier d’ambiance colorant l’espace sonore.

“ “Rain On The Graves” est le 2nd single issu de l’album met en valeur cette fois ci la basse et un vieil orgue interprété par Mistheria donnant un côté vintage à l’ensemble, sans oublier le riff heavy de Roy Z et la batterie lourde et efficace interprétée par Dave Moreno (présent déjà sur “Tyranny Of Souls”). Cette fois-ci, Bruce adopte un chant très théâtral, interprétant ses personnages comme au début de la chanson, avec la voix du scientifique interrogeant ce vieil homme venant au cimetière le voir, certainement pour sauver son … âme. On retrouve le Bruce lyrique à la voix brisant des verres sur l’excellent refrain. Un très bon titre qui n’aurait pas dépareillé sur ses disques précédents.

Par contre,  avec “Resurrection Men”, Bruce et Roy Z nous surprennent et nous emmènent dans un voyage inattendu pendant plus de 6 minutes. Cela commence avec cette basse, ces quelques accords de guitare en son clair, des légères cymbales puis arrivent de nulle part des percussions (bongos) et une guitare western à la Tarantino (la BO par Urge Overkill dans “Pulpe Fiction”)) ou pour les plus anciens à la Shadows (leur titre “Apache”). On ne s’y attendait pas du tout et le plus surprenant est que cette intro est du fait de Bruce et non de Roy Z. Le morceau se veut rythmé et entraînant avec un son de guitare peu distordu donnant sur un très bon refrain puis à 3 minutes, le morceau change de cap avec un riff sabbathien lourd et au son très 70s semblant s’être échappé du 1er album de BLACK SABBATH avec Bruce chantant une chouette mélodie enchaînée avec une partie de basse que n’aurait pas renié Geezer Butler. Quel contraste entre le début et cette partie de chanson, durant laquelle les 2 sorciers (Necropolis et Lazarus) voleurs d’âmes s’expriment sans état… d’âme sur leur découverte diabolique (“My name is Lazarus – I raise the dead”). Puis un break intervient avec Bruce donnant de sa belle voix avec juste cette ligne de basse galopante avant que le morceau ne reparte comme au début, avec bongos et guitares très Morricone, pour se conclure avec ce refrain très addictif. La paire Bruce Dickinson / Roy Z a accouché d’un monstre de morceau un peu à l’instar des 2 sorciers de l’intrigue avec leur découverte diabolique, montrant une créativité mise en musique de la plus belle des façons, et témoignant de l’envie des musiciens de ne s’imposer aucune limite.

Le dernier morceau ayant un rapport avec cette histoire est “Eternity Has Failed”. Oui il s’agit bien de la version d’origine du titre adaptée par IRON MAIDEN en 2015 sur l’album “Book Of Souls”. On note déjà le titre légèrement différent (“If Eternity Should Fail” pour Maiden). Dès l’intro , nous sommes surpris par ces flûtes de pan remplaçant très avantageusement le clavier de la version de Maiden. On entend aussi des percussions ici et là nous immergeant dans une ambiance inquiétante. Tout au long du morceau, on note des arrangements enrichissant l’atmosphère de cette pièce musicale et lui conférant une autre dimension. Le début du morceau est plus lent que la version de Maiden avec une basse un peu moins présente mais le propos est différent ici, le couplet rajouté par Steve Harris a été enlevé au profit d’un solo de guitare plus long de Roy Z qui brille de mille feux dans ce titre avec sa 6 cordes. On note aussi un solo de clavier très bien trouvé enrichissant une nouvelle fois le morceau de même que ces choeurs glaçants en fin de morceau. Aucune contrainte ici, tous les musiciens se sont lâchés dans une version que je trouve plus intéressante que celle de Maiden, bien aidée par des arrangements au poil dont le clavier / orgue de Mistheria parfait.

Sur les autres titres de l’album, Bruce aborde divers sujets comme cette histoire d’une femme vampire ne supportant plus sa condition (“When the sun goes down, I wear my thorny crown”) attendant que sa malédiction d’être immortelle soit  rompue  le jour de l’éclipse du Soleil,  sur le très hard rock “Many Doors To Hell” fort réussi avec ce riff de guitare hyper accrocheur de Roy Z avec en fond cet orgue 70s. J’aime beaucoup la dynamique entre les couplets posés et le pré-refrain et refrain avec l’envolée vocale lyrique de Bruce. Un titre simple mais bougrement efficace. On note que même si les paroles de ce titre ne traitent pas du duo de sorciers, elles ont un lien avec l’immortalité, qui finalement n’est pas forcément le Saint Graal tant espéré car pouvant faire plus souffrir qu’autre chose.

Dans “Fingers In The Wounds”, Bruce expérimente une nouvelle fois. Dans la première partie du morceau, la musique évoque le côté épique d’un MAGNUM des dernières années, avec ces orchestrations parfaitement dosées, avec ici et là un léger piano avec un très bon refrain ne se contentant pas d’une seule phrase. Le chanteur évoque dans les paroles du titre les influenceurs d’Internet se prenant pour des héros et prophètes et pensant détenir un grand pouvoir alors qu’ils ne représentent finalement pas grand chose.

Le morceau débouche sur un break oriental magnifique, évoquant bien sur “Kashmir” de Led Zep, “Perfect Stranger” de Deep Purple ou encore ce que fait Myrath depuis une quinzaine d’années. C’est une nouvelle fois super bien trouvé et amené et témoigne de la grande inspiration de Bruce et Roy Z.

Avec “Mistress Of Mercy”, le chanteur anglais nous ramène en terre connue avec un brûlot rappelant “Machine Men”, le riff du début de “Freaks”, un heavy puissant … jusqu’à ce petit break plus calme avec ce soli parfait de Roy Z avant que le morceau parte de plus belle avec en fond une slide guitare. Encore une fois on note le travail de fou effectué par le guitariste avec tous ces arrangements, ces différents sons et effets de guitares. Dans cette piste, Bruce parle d’une façon originale de son inspiration et de sa créativité avec qui il a, comme chaque artiste compositeur, une relation particulière (rappelez vous l’excellent film “Le Créateur” d’Albert Dupontel).

A partir de “Face In The Mirror”, l’album prend une tournure plus sombre et peu joyeuse. Cette très belle ballade rappelle un peu le sublime “Arc Of Space”, avec cette guitare acoustique, mais avec un chant de Bruce étonnant et très posé tout en retenu. Ici pas de notes hautes perchées, tout est dans l’émotion et la mélancolie, avec quelques notes de  piano et ce solo acoustique de toute beauté de Roy Z . Un très beau moment, introspectif de la part du chanteur qui évoque les addictions souvent destructrices auxquelles il aurait pu se faire piéger et finir par se regarder dans ce miroir et ne pas voir celui qu’il est devenu, et juste voir celui rongé par les addictions et ne jamais en sortir.

Sur “Shadow Of The Gods”, Bruce nous embarque une nouvelle fois dans un voyage remuant émotionnellement, démarrant doucement avec ce piano, ce chant calme de Bruce sur une mélodie bien triste, de belles orchestrations ici et là. Le tout début rappelle le titre “The Chemical Wedding” forcément, surtout quand Bruce chante “And so we lay …” comme pour faire écho à ce mariage chimique, dans cette nouvelle histoire hallucinée d’un monde parallèle créé à partir de 2 gouttes d’essence cosmique avec 2 amoureux traversant l’espace et le temps dans l’ombre des Dieux.

 Le morceau se déroule puis Bruce prend sa belle voix lyrique et puissante sur fond d’un riff heavy jusqu’à un moment calme inquiétant accentué par cet accord de guitare acoustique puis rupture, un riff ultra puissant de Roy Z déboule, la section rythmique arrive et change la tournure du morceau, et énorme étonnement, Bruce adopte un chant saturé très agressif sur certains passages, une première pour lui ! Quel voyage !

Pour la dernière pièce de cet album, l’artiste aux multiples talents nous invite dans un périple envoûtant et entêtant. Le tout début de “Sonata (Immortal Beloved)” me fait un peu penser aux ambiances de “Balls To Picasso”. C’est minimaliste avec quelques accords en son de guitare clair avant que la batterie arrive avec Bruce suppliant de le sauver (“Save me now …”). Roy Z tisse une toile de sons de guitares différents créant une ambiance glauque comme ces notes pleureuses évoquant la tristesse de ce Roi déchu cherchant dans cette forêt sombre et glaciale sa bien aimée endormie semble t il pour l’Éternité par un enchantement … Maléfique. Difficile de ne pas penser à la “Belle au Bois dormant”.

Bruce incarne ce Roi pleurant “Bring back my Queen…..” avec ces quelques notes de guitare me faisant penser à The Cure. Puis les “Save Me Now ..” chantés deviennent hurlés par Bruce de façon intense exprimant la détresse de ce Roi. Mais cette fois-ci et à l’inverse du célèbre conte, le baiser du Roi sur les lèvres de sa princesse ne la sauvera pas et l’ange de la mort accomplira sa triste besogne. Dans la dernière partie du morceau, Roy Z lâche les chevaux avec un solo de toute beauté, tout en feeling et dans l’esprit de cette fable morbide et triste. Ce morceau de 10 minutes va vous étonner, m’a étonné car unique et bien loin de ce que Bruce nous a proposé depuis le début de sa carrière. Ici rien d’exubérant, pas de riffs heavy metal, pas d’accroche mélodique instantanée et pourtant, lui et Roy Z ont réussi un coup de maître avec cette pièce tout en ambiances qui nous happe au côté de ce Roi dans cette tragédie mise en musique avec pléthore d’arrangements simples avec seulement des guitares et le chant si expressif de Dickinson qu’il nous tire les larmes des yeux. 

Je dois bien dire que je ne m’attendais pas du tout à un tel album du chanteur de la Vierge de Fer. J’avais parié pour un album dans la droite lignée de “The Chemical Wedding” mettant au 1er plan le heavy metal puissant, sombre et mélodique avec ce gros son de guitare. Même si ce style apparaît ici et là, “The Mandrake Project” va beaucoup plus loin dans la richesse musicale, dans l’abondance des arrangements servant les chansons et sans jamais être excessifs, dans la diversité des parties et sons de guitares de Roy Z. Un mot également sur l’énorme boulot de Mistheria aux claviers, souvent discret mais étant arrivé à tisser une toile sonore parfaite apportant tellement aux titres et à leur ambiance. L’alchimie est magique entre les musiciens, et ce duo Dickinson / Roy Z a réussi le pari de nous amener en Terre inconnue avec une qualité des chansons hors du commun, loin du heavy metal formaté qu’on trouve de nos jours (mais que j’adore) et apportant beaucoup de fraîcheur dans un style qui en a besoin. C’est ce qui différencie les artistes exceptionnels leaders et créatifs faisant avancer la musique, Bruce Dickinson en fait définitivement partie et cet album est et restera une pierre angulaire de sa carrière et même du heavy metal.

L’album sort le 1er mars 2024.

Vous pouvez l’acheter ici : https://brucedickinson.tmstor.es/

1. Afterglow of Ragnarok 05:45
2. Many Doors to Hell 04:48
3. Rain on the Graves 05:05
4. Resurrection Men 06:24
5. Fingers in the Wounds 03:39
6. Eternity Has Failed 06:59
7. Mistress of Mercy 05:08
8. Face in the Mirror 04:08
9. Shadow of the Gods 07:02
10. Sonata (Immortal Beloved) 09:51
58:49:00