THE CURE : « Songs of a lost world » (c) 2024
Les passionnées et amoureux de la musique savent ce que c’est. Ces quelques notes d’un vieux titre qui résonnent dans un film ou en passant à côté d’un bar et qui instantanément nous replongent 40 ans en arrière avec des souvenirs et images précises d’un évènement ou situation accompagné de cette musique. Quand j’entends la voix de Robert Smith, je retourne à chaque fois dans le Jura dans mes années lycées avec mon ami d’enfance faisant partie de ma famille, Laurent, fan devant l’Eternel de The Cure . Moi c’était Maiden, lui la bande à Smith. Qu’est ce qu’on a pu se charier durant des années mais c’était de bonne guerre et on adorait les 2 groupes. Autant dire qu’avec les Powerslave, Iron Maiden et The Number Of The Beast, on a usé les Seventeen Second, Faith, Pornography, The Head On The Door et un peu plus tard Disintegration. La musique était bien différente entre les 2 groupes, mais la passion la même, et à dire vrai, les fans les mêmes car chacun des 2 groupes a toujours eu leur univers propre à eux, un immense respect pour leurs fans. Robert Smith fait avancer le bateau THE CURE sans jamais (ou si peu) changer de cap avec une passion, une droiture et intégrité à toute épreuve. Après des débuts post-punk très dépouillés et d’une noirceur pouvant paraître repoussante pour certains mais étant adulée pour beaucoup d’autres sur la sacro sainte trilogie « Seventeen Seconds » (mon préféré des 3), « Faith », « Pornography », Smith ne pouvait aller plus loin dans cette voie sans issue sans se tirer une balle dans la tête. Il rajouta un peu de gaieté et de pop dans sa musique avec succès dont le point d’orgue fut « The Head On The Door » en 1985, véritable usine à hits mais qui jeta un froid chez les fans de la 1ere heure. Qu’à cela ne tienne, les musiciens revinrent à des ambiances plus sombres et moins poppy sur le génial « Disintegration » en 1989 considéré par beaucoup comme un chef d’oeuvre.
Après quelques errances plus ou moins réussies (« Wish » mi figue mi raisin, « Wild Mood Swings » loupé), Smith & co proposèrent à l’aube des années 2000 un convainquant « Bloodflowers ». Malhreureusement le groupe ne fut plus prolifique en sorties studio et le peu (2 albums en 20 ans) qu’ils offrirent ne fut pas leurs plus grandes réussistes, le 1er avec l’énergie mais sans âme « The Cure » avec une erreur de casting derrière la console, Ross Robinson ( Korn, Limp Bizkit, Slipknot ..). Du reste Smith rejette cet album le considérant comme une erreur de parcours. Et puis en 2008 « 4:13 Dream » médiocre, partant dans tous les sens et sans véritablement d’âme, très loin des perles passées du groupe.
Malgré ce parcours studio peu glorieux, le groupe était toujours imbattable en live donnant des prestations de 3 heures chaque soir dont leur dernier passage en France en 2022 remplissant nos arenas et montrant un groupe meilleur que jamais. Alors forcément, on espérait que cet album, l’Arlésienne, sorte enfin et que les CURE terminent leur carrière sur un album digne de leur rang. On se doutait que la qualité du nouveau répertoire serait au rendez vous pour avoir entendu plusieurs nouveaux titres en live, mais une fois mis sur une galette, le résultat est carrément autre chose tellement c’est bluffant. Tout ce qui manquait aux précédents opus apparaît dans ce « Songs of a lost world » dont la gestation a pris 16 ans, mais cela en valait vraiment le coup. Je l’ai déjà écrit quelques fois, mais je reste persuader que les plus grandes oeuvres naissent de grandes souffrances. Et Robert Smith n’a pas été épargné ces dernières années avec la disparition de ses parents et de son frère, ce qui a du contribuer au retard de la sortie de l’album. Forcément, il s’agit d’un disque très personnel, composé (et arrangé) uniquement par Smith (une 1ere depuis « The Head On The Door ») qui lui tenait beaucoup à coeur dans lequel l’artiste se met à nu et laisse s’exprimer sa tristesse, la noirceur de son âme face à la fatalité et le côté irrémédiable de la fin de vie de ses proches et de la sienne bien évidemment. Tout à une fin n’arrête t il pas de le dire tout au long de l’album, la jeunesse, l’amour, l’innocence, tout ce monde perdu qu’on est forcé de laisser derrière soi un jour ou l’autre.. Il ne faut pas le voir comme du pessimisme exacerbé mais comme un constat sur ce qui est irrémédiable et incontournable, et quelque part lorsqu’on apprend enfin à être totalement adulte.
La plus grande force de cet album est bien entendu la grande qualité de ses titres, mais aussi sa cohérence, sa ligne artistique claire et sans ambiguité introduite par les quasi 7 minutes de « Alone » commençant, comme la plupart des titres, par une longue intro nous plongeant note après note dans le monde sombre où la lumière se fait rare, avec cette basse distordue de Gallup, ces légères nappes de claviers de Roger O’Donnell, cette batterie martelée par Jason Cooper, ces quelques notes de guitares éparses ici et là. En quelques minutes, on a compris où Smith allait nous emmener et que le voyage serait parmi l’un des plus beaux jamais proposés par l’artiste maquillé comme à ses 20 ans. Sa voix surgit enfin de ce tourbillon mélancolique au bout de 3 minutes et la magie opère, elle n’a pas changé, toujours aussi amplie d’émotion. « This is the end of every song that we sing » .. l’ambiance est donnée.
« And Nothing Is Forever » ne commence pas avec le son de basse distordu typique du groupe mais par des bien belles notes de piano suivies par des magnifiques orchestrations avant que la basse de Gallup fasse son apparition puis les guitares de Smith et de Reeves Gabrels pour qui il s’agit du 1er album enregistré avec le groupe (mais présent dans le groupe depuis 2012). Une ballade mélancolique de toute beauté aussi bien musicale qu’avec le chant émouvant de Smith, ces quelques légers choeurs ici et là faisant écho à voix du chanteur. Les claviers sont assez présents et on se croit être revenu à l’époque de « Disintegration » (« In a murmured lullaby » ..coïncidence ??). Que c’est beau.
Après 2 pièces lentes et envoutantes cumulant 15 minutes, Smith nous livre un « A Fragile Thing » plus direct mais d’une beauté noire magnifique. La batterie de Jason Cooper claque, ces petites lignes de guitares typiques du groupe nous charment les oreilles. Tout le talent du groupe s’exprime comme ce petit break avec ces quelques notes de piano, ces légères cymballes avec ce mini solo de guitare en son clair tout droit sorti des 80s par Reeves Gabrels. On est happé par le chant de Smith nous racontant cette histoire une nouvelle fois désabusée avec une mélodie imparable. Il nous embarque dans ce titre fabuleux, l’un des meilleurs de l’album.
Changement d’ambiance et de son avec « Warsong ». Le tout début démontre le talent unique du groupe à marier des sons totalement distordus basse/guitare et ces quelques notes de cordes donnant une touche légère, comme si l’espoir essayait de surnager et sortir la tête de ce marasme, de cet océan de noirceur avec Smith pleurant/hurlant de façon désabusée. 4 minutes qui me prennent à la gorge aussi bien musicalement qu’avec la voix de Smith chantant ou plutôt crachant son dégout sur notre côté déstructeur, celui qui nous fait détester au plus haut point les autres, ce côté violent conduisant les hommes à la guerre et à la haine de l’autre. Mais il s’agit avant tout d’une guerre avec nous même. Un titre qui me parle et tellement réussi.
« Drone:Nodrone » lui emboite le pas, comme son frêre jumeau avec ce riff basse distordu à fond de Gallup, tellement bien trouvé. Le rythme est plus soutenu, la guitare wah-wah de Reeves Gabrels tisse une toile sonore vicieuse et groovy en arrière plan avant qu’il lache les chevaux avec un solo étonnant et rare dans la musique des CURE pour être mentionné. Dans ses paroles, Smith fait preuve ici de beaucoup de sarcasme sur lui même certainement, sur ces moments où on a envie de ne plus rien controler et se laisser aller sans avoir à donner des explications aux autres.
Après ces 2 plages d’une certaine violence, le groupe calme le jeu avec le magnifique « I Can Never Say Goodbye », avec une nouvelle fois un chouette intro avec cette basse distordue marque de fabrique des anglais, ces quelques notes de piano, cette batterie métronome. Le chant de Smith arrive avec une belle mélodie mélancolique et belle à pleurer évoquant le décès de son frère Richard (« Something wicked this way comes To steal away my brother’s life »). Le chanteur nous embarque avec lui et il est difficile de ne pas avoir une montée d’émotion en l’entendant presque pleurer ses paroles « I’m down on my knees And I’m aching inside ».
Avec « All I Ever Am », Smith nous livre une merveille et peut être le morceau le plus accrocheur et accessible de l’album, avec cette mélodie de … basse immédiatement mémorisable, de même que ces notes de guitares nous ramenant dans les 80s et puis bien sur les lignes de chant parfaites avec cette mélodie imparable dont il a le secret. Un titre assez entrainant mais néanmoins toujours sombre avec Smith concluant qu’il arrive doucement mais inéxorablement à l’age qu’il a toujours eu peur d’atteindre étant jeune, un age où il se retrouve de plus en plus seul, avec une scène de plus en plus vide.
La conclusion est la plus belle qu’on pouvait espérer de la part de Robert Smith et ses frères d’armes. « Endsong » est peut être le morceau ultime des CURE, la plus belle pièce jamais écrite et interprétée. Elle s’étire sur plus de 10 minutes, instaurant une ambiance planante, sombre, triste et hypnothisante à la fois sur un rythme de batterie simple, ces légères nappes de clavier, ces lignes de basse véritable fil conducteur, ces arpèges du guitares, ces différentes couches de guitares envoutantes. Le groupe a fait plusieur fois ce genre de pièce envoutante, mais jamais avec autant de réussite, de force. Je vous conseille vraiment de regarder l’interprétation de ce titre par le groupe lors de leur concert filmé à Londres le jour de la sortie de l’album, il prend toute sa signification en live. Puis la voix de Robert Smith arrive chantant ces paroles d’une tristesse infinie et peignant un décors qu’on imagine de suite (encore plus en voyant le concert !) , avec cette nuit noire et cette pleine Lune rouge, tout fout le camp quand on est vieux, plus d’espoir, plus de rêve, rien (« nothing » conclut Smith), Reeves Gabrels nous régale de ses parties de guitares si riches et musicales (vraiment ce guitariste est un énorme plus pour le groupe). Cet ultime morceau est comme un ultime cri d’un musicien qui a tellement peur que tout s’arrête, après une vie passée sur la route à jouer tous les soirs devant 15.000 personnes, à partager toutes ses peurs avec son public, mais demain la scène sera vide et cela l’effraie au plus haut point et il met toutes ses émotions dans ce titre fabuleux et tellement prenant.
Vous l’aurez compris, THE CURE a sorti son ultime chef d’oeuvre, un album parfait, 8 titres et 49 minutes d’émotions pures mises en musique avec tant de justesse dans les notes, les arrangements, dans le son. Smith a pris son temps pour arriver à ne garder que le meilleur, en y mettant toute son âme comme pour nous dire un Adieu dont on se souviendrait à jamais. Et je pense qu’il y est arrivé. J’en ai encore des frissons tant la musique et ses paroles sont bouleversantes et me parlent. Ne s’agit il pas du chef d’oeuvre ultime de Robert Smith ? J’en suis de plus en plus persuadé au fil des écoutes de ce « Songs of a lost world » qui va marquer l’histoire de la musique.
No. | Title | Length |
1. | « Alone » | 06:48 |
2. | « And Nothing Is Forever » | 06:53 |
3. | « A Fragile Thing » | 04:43 |
4. | « Warsong » | 04:17 |
5. | « Drone:Nodrone » | 04:45 |
6. | « I Can Never Say Goodbye » | 06:03 |
7. | « All I Ever Am » | 05:21 |
8. | « Endsong » | 10:23 |
Total length: | 49:13:00 |